Fukushima, une catastrophe toujours en cours
- Sophie Vanel
- 23 sept. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 avr. 2022
11 mars 2011, Japon. Des vagues immenses viennent frapper le nord-est du pays à la suite d’un terrible séisme de magnitude 9. Près de 600 kms de côtes sont ravagées. La catastrophe naturelle a également touché de plein fouet la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, provoquant l’arrêt du système de refroidissement des réacteurs nucléaires. Par effet de cascade, le défaut de refroidissement provoque l’explosion de trois des six réacteurs. Fukushima devient alors le pire accident nucléaire du XXI e siècle. 10 ans plus tard, la catastrophe semble loin d’être finie.
Une centrale toujours en cours de démantèlement
Qu’est devenue la triste célèbre centrale nucléaire depuis son terrible accident en 2011 ? La centrale de Fukushima a tout d’abord fait l’objet d’un démantèlement progressif. La feuille de route de l’opérateur de la centrale, TEPCO, prévoyait un démantèlement en 40 ans mais au bout de 10 ans, les travaux ont pris un retard conséquent et il faudra sans doute beaucoup plus longtemps pour récupérer les combustibles radioactifs fondus (les coriums) et remettre le site en état. En attendant que des robots mesurent et comprennent ce qu’il y a dans les réacteurs, 700 tonnes de combustible nucléaire sont arrosées en permanence pour maintenir leurs températures autour de 30°. Le très fort taux de radioactivité mesuré sur le site et le coût des travaux, estimé à 60 milliards d’euros d’après la NDF (Nuclear Damage Compensation and Decommissioning Facilitation Corporation), y sont pour beaucoup dans les retards de démantèlement. D’après Bertrand Galic, historien et scénariste de la BD « Fukushima, chronique d’un accident sans fin » : « il faudra, au bas mot, 40 à 50 ans pour démanteler totalement la centrale. Ce n’est pas improbable que ça prenne même plus longtemps ».
Une zone désertée
Bien que la centrale ne soit pas encore démantelée, le gouvernement japonais pousse la population à s’installer dans cette région devenue un désert urbain. La catastrophe nucléaire avait en effet conduit le gouvernement à faire évacuer les populations des territoires contaminés. Progressivement de nombreuses zones ont été déclarées à nouveau habitables par les autorités suite à des travaux intensifs de décontamination. Des incitations financières ont également été mises en place par le gouvernement nippon. Malgré tout, la radioactivité toujours présente à Fukushima décourage les anciens riverains à revenir sur leur terre : « Seulement 20 % des 95000 personnes évacuées sont revenues vivre à Fukushima et dans les environs mais ce sont surtout les anciens qui reviennent. Les jeunes veulent tourner la page d’un cauchemar » déplore Bertrand Galic. Ainsi, certaines grosses villes de 20000 habitants,souvent en ruines, ont été réduites à pas plus de 1500 habitants.
Des conséquences sanitaires floues
Concernant l’impact sanitaire sur les populations locales, les experts restent prudents. De nombreuses études se sont penchées sur la question du risque de l’iode 131 à provoquer le cancer de la thyroïde. Pour l’ONU, « les radiations provenant de l’accident nucléaire de Fukushima n’auraient pas augmenté les taux de cancer de manière discernable ». Pourtant, certains médecins comme Hiroto Matsue, radiologue spécialiste du cancer, alarment les autorités sur l’état de certaines thyroïdes, chez les jeunes notamment. Pour Bertrand Galic, il est compliqué de poser un diagnostic : « il est difficile de savoir si les cancers sont dû aux radiations ou à autre chose. C’est le cas pour le directeur de la centrale, Masao Yoshida, qui est décédé d’un cancer de l’œsophage en 2013 ». Les suicides et les dépressions causés par l’évacuation auraient également touché un grand nombre des personnes réfugiées.
Un environnement pollué pour plusieurs centaines d’années
A Fukushima, on estime que les vents dominants ont poussé 80% de la radioactivité en direction de l’océan Pacifique, une pollution nucléaire marine jamais observée auparavant. Les retombées radioactives, notamment le césium 137, se sont également retrouvées piégées à la surface du sol et dans la végétation. Ainsi, la forêt qui couvre 75% de la superficie de la préfecture de Fukushima, pourrait présenter des niveaux de radioactivité élevés pendant près de 300 ans. Depuis 2014, des travaux de décontamination du sol ont été effectués en raclant le sol sur une profondeur de 5cm et sur une superficie de près de 1000 km2. En attendant de trouver des solutions pour la recycler, cette terre contaminée est stockée dans de gros sacs à proximité de la centrale, jusqu’en 2045. De plus, le gouvernement vient d’annoncer un projet de loi permettant de relâcher pas moins d’un million de tonnes d’eaux radioactives, utilisées pour refroidir les coriums, dans l’océan d’ici deux ans. Avant d’être déversée dans la nature, l’eau est filtrée de façon à ce que le niveau d’éléments radioactifs soit en dessous du seuil des normes de sécurité. Il n’existe cependant à l’heure actuelle aucune méthode capable de détruire le tritium, un élément radioactif à priori inoffensif pour l’organisme à faible dose. Les associations environnementales ainsi que les pêcheurs de la région s’opposent à ce rejet, au nom du principe de précaution : « Les pêcheurs sont vraiment angoissés par cette idée, Ils avaient repris un semblant d’activité mais avec ce qui se prépare beaucoup abonnent l’idée de pêcher à nouveau » confie Bertrand Galic. Le tritium pourrait en effet avoir un impact à long terme sur la chaine alimentaire par bioaccumulation, selon Greenpeace.
Quelles leçons en tirer ?
Les mesures de sécurité dans les centrales nucléaires du monde entier ont été renforcées. Au Japon, il y notamment eu des mises aux normes face aux tsunamis et au crash d’avion. Mais malgré l’impact considérable tant économique, sociétal, qu’environnemental, le pays du soleil levant n’a pas pour autant décidé d’arrêter complètement le nucléaire : « Le japon produisait 30 % de son électricité par l’industrie du nucléaire. Après Fukushima ils ont tout arrêté en passant à 0% puis ils ont commencé à rouvrir des réacteurs. Aujourd’hui 9 réacteurs sur 54 tournent à nouveau » s’étonne l’historien. Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, le Japon ne veut pas se séparer du nucléaire. Entre indépendance énergétique et sécurité nationale, le dilemme reste total
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