Les plus anciennes empreintes de chaussures sont en Dordogne

Des archéologues français ont identifié les plus anciennes preuves de l’usage de chaussures par des hommes préhistoriques. Lysianna Ledoux, jeune chercheuse en préhistoire à l’Université de Bordeaux, explique comment elle a réussi à identifier les empreintes de pas chaussés dans la grotte de Cussac, dans le Périgord

Vous avez estimé que les empreintes de pas chaussées correspondaient à l’époque du Gravettien, soit 30 000 ans avant notre ère. Cet usage n’avait jamais été décrit pour des périodes si anciennes, comment avez-vous pu déterminer si précisément cette date ?

Nous n’avons pas pu dater directement les empreintes mais nous avons pu dater le charbon et les ossements retrouvés dans la grotte grâce au carbone 14. Ces datations directes sont toutes cohérentes avec le style des gravures et les peintures de Cussac, très caractéristiques de la période du gravettien, c’est-à-dire autour de 30 000 ans avant notre ère. Il est très rare de découvrir des empreintes aussi bien conservées.

Comment êtes-vous sûr que les empreintes ne sont pas plus récentes que ça ?

La grotte de Cussac a été fermée par un éboulement qui a complétement colmaté l’entrée de la cavité. Cet écroulement est survenu très peu de temps après le passage des hommes préhistoriques. Nous le savons car les seuls indices de présence plus récents sont le passage de petits animaux qui ont réussi à se faufiler dans les fissures mais il n’y a pas de traces d’hommes postérieur à celui des hommes du gravettien. Les empreintes de trois pieds gauches et quatre pieds droits imprimées dans le sol argileux de Cussac sont difficilement visibles.

Comment êtes-vous arrivés à l’hypothèse que ce pouvait être des traces de chaussures et non pas de pieds nus ?

Avant d’arriver à l’hypothèse d’empreintes de pieds chaussés, j’ai d’abord testé toutes les autres possibilités. Nous aurions dû trouver des empreintes de pieds nus, comme on le voit partout dans les autres grottes de la même époque mais ce n’était pas le cas. J’ai donc imaginé que ces marques pouvaient être les traces de pieds chaussés, d’autant plus que l’argile de Cussac est très froide et très collante. Il ne me semblait donc pas impossible que ces hommes préhistoriques puissent avoir tenté de se protéger du froid, surtout qu’ils avaient tous les outils pour fabriquer des chaussures, comme des aiguilles et des poinçons.

Comment avez-vous vérifié cette hypothèse ?

J’ai recréé expérimentalement la morphologie des empreintes laissées par les chaussures souples sur un substrat argileux semblable à celui de Cussac. J’ai fait fabriquer des chaussures en cuir très fines en me référant au plus vieux chausson découvert, daté de 3627 ans. Ensuite, j’ai fait marcher mes collègues dans le bac, avec et sans chaussures en testant plusieurs paramètres de poids, de tailles, de postures et d’humidité. J’ai fait une reconstitution en modèle 3D et à partir de la comparaison entre les empreintes expérimentales et les empreintes de la grotte, j’ai trouvé de bonnes similitudes qui conforte l’hypothèse de pieds chaussés. Les chaussures en cuir sont périssables et fragiles, elles sont donc rarement trouvées dans les archives archéologiques.

A-t-on une idée de ce à quoi ressemblaient les chaussures de Cussac ?

On imagine qu’ils avaient des chaussures fermées en cuir souple avec un lien et peut être du rembourrage. Malheureusement, sans vestige, on ne peut pas s’avancer !

Peut-on imaginer découvrir d’autres grottes avec des empreintes de pieds chaussés, datant de l’époque gravettienne ?

Il y a encore quelques années, lorsqu’on découvrait une grotte, on ne regardait pas trop le sol. Avec la découverte de ces empreintes de pieds chaussés, je pense qu’en cherchant bien il doit y avoir d’autres grottes qui se rapprochent de celle de Cussac. Aussi, certaines empreintes prises pour des pieds nus pourraient en fait être chaussées. Par exemple, il y a des empreintes d’orteils qu’on attribuait directement à des empreintes de pieds nus mais qui finalement pourraient être compatibles avec des pieds chaussés. Les chaussures de cuir fin peuvent laisser des marques d’orteils au sol, ce qui change complètement l’interprétation des empreintes. Les habitants temporaires de la grotte de Cussac feraient donc parti des premiers hommes à avoir fabriqué des chaussures.

Comment passe-t-on du fait d’être pied nu au fait de porter des chaussures ?

Il n’y a pas qu’une seule réponse possible. Premièrement c’est d’abord dans le but de se protéger du froid et du terrain sur lequel on marche. L’argile de Cussac est très collante et froide, il n’est pas agréable de marcher dessus ce qui aurait pu pousser les hommes préhistoriques à se protéger les pieds. Mais les chaussures peuvent aussi avoir un autre rôle plus social ou symbolique, au même titre que les parures par exemple. A Cussac il y a peut-être même une dimension sacrée.