Les zones humides peuvent-elles nous sauver des inondations ?
- Sophie Vanel
- 15 déc. 2022
- 4 min de lecture
En France, de plus en plus de communes choisissent de réhabiliter leurs zones humides. Ces écosystèmes se révèlent efficaces et bien moins coûteux que les infrastructures grises pour se protéger des inondations. Mais la raréfaction des terres n’aide pas à développer de telles alternatives.

Des lacs ont remplacé certains champs. La rivière a grignoté une partie de la départementale et de nombreuses caves ont été inondées. Au mois de décembre dernier, les crues des principaux cours d’eau du Pays Basque ont entraîné des dégâts matériels importants. L’état de catastrophe naturelle a été établi pour l’ensemble du territoire. Pire encore, 200 personnes sont décédées l’été dernier à cause des pluies diluviennes qui ont pris par surprise l’Allemagne et la Belgique.
D’après une étude du World Weather Attribution, ces quantités de précipitations historiques sont directement liées au dérèglement climatique. “C’est un phénomène de grande ampleur” confie Fabienne Trolard. Pour cette directrice de recherches à l’INRAE, ces phénomènes vont devenir de plus en plus fréquents et intenses. Or, nous ne sommes pas du tout préparés à affronter de tels évènements. Au contraire, depuis la seconde guerre mondiale, le vieux continent n’a cessé de construire des villes au bord des fleuves et des rivières. “Au niveau européen, un tiers de la surface continentale sera touché par les inondations”. Pour se protéger des crues, les cours d’eau ont été canalisés. Des digues ont été érigées. Mais ces installations commencent à être obsolètes. “Ces infrastructures vont être remises en cause” prévient Fabienne Trolard. Elles restent très chères à construire et à entretenir.
Alors, depuis quelque temps, certaines communes réfléchissent à des alternatives au tout béton. Elles s’intéressent notamment au rôle des zones humides dans la prévention des inondations. Les marais, les tourbières, les prairies humides ou encore les lagunes jouent en effet un rôle primordial dans la régulation de la ressource en eau, l’épuration et la prévention des crues. Mais en France, la moitié d’entre elles a été détruite entre 1960 et 1990. Depuis bientôt 40 ans, le pays s’est cependant engagé à les préserver, via notamment la convention internationale de Ramsar.
« Rendre à ce lieu sa fonction »
Le Pays de Montbéliard Agglomération (PMA) a bien compris l’intérêt de sauvegarder ces écosystèmes naturels. Le parc des Jonchets à Grand-Charmont a redonné vie à une ancienne zone humide asséchée. Il est aujourd’hui un lieu de passage apprécié des piétons et des cyclistes. Sur 7 hectares se succèdent des aires de jeux, des espaces boisés et des zones engazonnées. Saules et prairies fleuries s’épanouissent dans cet écrin de nature. Plus attrayant encore, un grand bassin aquatique aux formes douces rafraîchit l’air durant les chaudes journées d’été. Mais son rôle ne s’arrête pas là, bien au contraire. “La réhabilitation de la zone humide des Jonchets permet de recueillir pas moins de 17 000m3 d’eau pluviale” annonce Nicolas Kieffer, chef de service paysages espaces verts et milieux naturels à PMA. Cette quantité d’eau correspond à une pluie d’occurrence décennale.
Dans les années 90, le territoire a dû faire face à de fortes inondations. “C’est bien d’imperméabiliser mais si les tuyaux ne sont pas assez gros et qu’on ne les change pas, forcément ça déborde”. La catastrophe a fortement impacté l’économie locale. “Il y a eu une prise de conscience” avoue Nicolas Kieffer. Dans le cadre d’une politique de gestion alternative des eaux de pluie, PMA a décidé de réhabiliter cette ancienne zone humide asséchée au milieu de la ville de Grand-Charmont. “Nous voulions rendre à ce lieu sa fonction d’inondabilité”.

Parc des Jonchets de la ville du Grand Charmont
L’idée était de limiter l’imperméabilisation et de privilégier l’infiltration. Pour Stéphanie Bidault, les zones humides peuvent atténuer les phénomènes d’inondation en stockant l’eau et en évitant qu’elle ne déborde sur des zones vulnérables. “Elles permettent aussi une meilleure absorption de l’eau par les sols, contrairement aux sols artificialisés imperméables qui provoquent le phénomène de ruissellement” ajoute l’ancienne directrice du centre européen de prévention du risque inondation. Le rétablissement du milieu humide a donc reposé sur la réalimentation en eau de la plaine des Jonchets. Les eaux pluviales peuvent maintenant être stockées, avant d’être rejetées à débit régulé dans les rivières alentour. “Cette zone humide, au croisement de plusieurs cours d’eau, agit comme une éponge : elle absorbe l’eau quand il y en a trop et la restitue en cas de sécheresse”. Le parc peut donc être totalement sous l’eau sans inonder les zones industrielles et les zones habitables. Jusqu’à présent, le quartier adjacent n’a jamais été inondé. “Lors de fortes crues, j’ai vu de l’eau dans les noues et sur les pelouses mais pas sur les chemins à peine surélevés” affirme Nicolas Kieffer.
Plus qu’un simple bassin
A Grand-Charmont, les politiques de réaménagement de la ville et de gestion alternative des eaux de pluie ne voulaient pas faire du parc des Jonchets un simple ouvrage de gestion des eaux. “Nous ne voulions pas juste d’un grand bassin mais d’un vrai parc, avec une biodiversité à l’intérieur et une zone dans laquelle on ne peut pas accéder pour laisser faire la nature” explique Nicolas Kieffer. Ils ont ainsi profité de tous les atouts que pouvait apporter une zone humide. Oiseaux, amphibiens, poissons et petits mammifères profitent eux aussi de cet espace préservé.
Le parc à aussi considérablement amélioré le cadre de vie des habitants. Des gens s’y baladent à pied mais aussi à vélo. Une piste cyclable relie plusieurs quartiers, jusqu’au centre de Montbéliard.
Le manque de terre
À Grand-Charmont, la réhabilitation de l’ancienne zone humide à donc conquis tous les habitants. Mais pour Fabienne Trolard, cette initiative ne peut pas se répliquer partout. La zone des Jonchets était abandonnée. Le territoire a donc saisi une belle opportunité de se la réapproprier. Mais les autres territoires ne disposent pas tous de ce type de terrain. Au contraire, face à l’artificialisation des sols, la terre devient un bien précieux. La création de zones humides implique inexorablement une intervention sur le foncier. Pour Stéphanie Bidault, si les politiques publiques n’ont pas développé ces alternatives “vertes” c’est bien à cause de ce problème épineux. “Il y a un bras de fer entre la population, les collectivités territoriales et le monde agricole”.
Une solution radicale mais efficace reste encore de ne pas construire sur des zones inondables. “Il faut que les communes arrêtent de vouloir construire sur le champ d’à côté” assume Fabienne Trolard.
Comments